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La COVID-19 va-t-elle changer la ville ?
Impact de la COVID-19 sur les villes et métropoles
La crise sanitaire qui nous touche à l’échelle internationale est sans précédent. Du jour au lendemain, tout a basculé. Les populations ont été confinées, les commerces fermés, les entreprises mises à l’arrêt… Nos modes de fonctionnement ont été soudainement remis en question et nous avons tous dû nous adapter à cette situation inédite en un temps record.
Dès le début de la pandémie, urbanistes et spécialistes de la ville ont commencé à débattre sur les effets urbains que cette crise sanitaire pourrait entraîner. Les enjeux sont-ils réellement urbains ou plutôt sociétaux ? Comment agir sur la société en période de crise ? Peut-on protéger l’individu dans un espace dense ? Nous sommes allés à la rencontre d’Alain Bourdin, professeur des universités, sociologue et urbaniste, pour l'interroger sur sa vision de notre monde post-covid et prendre la mesure des mutations qui s’amorcent.
Alain BOURDIN, d'après vous, qu'en est il de ce débat sur l'impact de la COVID-19 sur la ville et les métropoles ?
Dans les pays occidentaux le débat a très vite porté sur la densité urbaine, avec parfois l’annonce d’un déclin des métropoles. En Californie par exemple, cela se traduit par un retour en force de la défense de l’habitat de type pavillonnaire, tempérée chez les plus modernistes par le souci de la « ville marchable » et du « Transit oriented dévelopment », autrement dit d’une urbanisation liée aux transports en commun.
D’après ce que j’en sais, on ne trouve pas de débats équivalents à Singapour, à Séoul ou à Shanghai. En France en revanche un fait a frappé : le départ d’environ un million d’habitants de l'agglomération parisienne vers la province au moment du confinement.
D’autant plus qu’ensuite, d’après les professionnels, la recherche de résidences dans certaines régions de France déjà appréciées auparavant a significativement augmenté. Les partisans et les adversaires de la ville dense se sont affrontés à nouveau.
Avec le déconfinement un autre phénomène est apparu : le désamour pour les transports en commun. Quelle est votre analyse sur ce point?
Ce désamour, très fort dans la région parisienne et en France, mais aussi semble-t-il dans d’autres pays, a été interprété un peu vite à mon sens comme une revendication des déplacements en modes doux : vélo, marche… Or la ville n’est peut-être pas tellement en cause. Hong Kong, Séoul, Taipeh ont très bien résisté à la pandémie, malgré des situations compliquées, et ce sont des villes très denses dans lesquelles les transports en commun jouent un rôle majeur. Mais je peux témoigner qu’à Séoul, le 31 Janvier il y avait des masques et du gel hydroalcoolique partout et que la population était mobilisée.
Ce sont les modalités de la gestion de crise et la manière dont les citoyens réagissent qui font la différence, pas la forme urbaine. Il est quand même vrai que les grandes métropoles se caractérisent par la concentration et surtout par l’importance des flux de circulation, et qu’une épidémie implique par définition des flux. Demain, pour des raisons sanitaires et environnementales nous devons donc gérer les effets de la concentration pour les minimiser. Quelques uns iront vivre à la campagne, d’autres pratiqueront plus de télétravail ce qui facilitera les choses mais cela ne suffira pas.
Comment se déplacer dans la ville tout en restant protégé?
Le problème de l’isolement physique se pose en particulier dans les transports autour de la question de l’habitacle, qui isole et protège du contexte dans lequel on se déplace. Celui de l’automobile est lourd et le vélo n’en offre aucun par rapport aux risques de la circulation ou aux intempéries.
De nouvelles vérités vont s’inventer entre les deux. Cela et le véhicule autonome aideront à réaliser une révolution aujourd’hui inévitable. Et cela qui est essentiel, suppose de faire porter les efforts sur les dispositifs légers, leurs modèles économiques et leurs modes de gestion. On le savait mais la COVID-19 nous dit que cela va sans doute venir plus vite que prévu.
Là ou le métro automatique réalise l’excellence du 20ème siècle, le 21éme doit réaliser cet oxymore : le transport public individuel.
Comment agir sur la société en période de crise? Quelle est notre capacité à penser l'avenir et à comprendre des phénomènes inconnus ?
Pour répondre à ces questions nous devons mettre en avant trois thématiques très liées à l'actualité :
Produire de la solidarité
Toute société a besoin de solidarité pour fonctionner. Le welfare state avait une recette de solidarité qui ne peut plus fonctionner dans nos sociétés très individualisées, même si l’on fait évoluer le modèle économique actuel. Or ce que montre la COVID-19, et encore plus les enjeux du réchauffement climatique, c’est que nous avons besoin de toutes sortes de solidarités pour vivre. « Tout ce qui nous aidera à réinventer des solidarités macro » sera bienvenu.
Cordonner des acteurs divers
L’expérience de la COVID-19 a clairement montré que l’on doit combiner une action de l’État et une action beaucoup plus proche du terrain, avec des niveaux intermédiaires, en particulier les communes et les régions. Mais la question centrale n'est pas celle de la décentralisation, c'est celle de la coordination.
Par exemple en Allemagne le système est y décentralisé mais les différents niveaux d'entités institutionnelles se coordonnent en général de façon plutôt satisfaisante.
L'enjeu n'est plus tant à mon sens dans la définition des enjeux d'un pays que dans celle de leurs modalités de coordination. Et, au moins en France, la COVID-19 a été l'occasion de mauvaises coordinations (entre l'Etat et les pouvoirs locaux et les entreprises ), ne serait-ce que sur la question de l'approvisionnement en masques.
Savoir anticiper
Gouverner c’est prévoir. Mais aujourd’hui, on ne sait plus très bien quelle place donner à l’anticipation, en particulier dans l’action publique. La ministre Roselyne Bachelot avait raison de constituer des provisions considérables de masques lors de l’épidémie de H1N1, alors qu’on lui a fortement reproché.
Il est pourtant probable que l’on reproduira le même genre de scénario dans un domaine ou un autre. Nous nous retrouvons aujourd'hui, et là encore avec des enjeux environnementaux considérables, devant une vielle question : Quelle place donner à l'avenir y compris dans ce qu'il a de lointain et descriptif dans la pensée du présent et concrètement dans nos raisonnements économiques et budgétaires. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les stratégies urbaines.
Je suis frappé par le recul des démarches prospectives des grandes villes. Lyon, par exemple, a eu de grandes ambitions dans ce domaine et a fini par réduire son travail prospectif à très court terme.
L’expérience de la COVID-19 a clairement montré qu’on doit combiner une action de l’Etat et une action beaucoup plus proche du terrain
Cette épidémie est-elle un vecteur de changement?
On a fait de la COVID -19 un vecteur de changement et ce n’est pas totalement faux sur des points précis, par exemple le développement considérable du libre accès des données de recherche (rien à voir avec les publications intempestives), ou même sur des questions fondamentales, celle de la valeur attribuée à la vie humaine, en particulier des personnes âgées. Mais c’est peut-être avant tout un analyseur qui rend visible un ensemble de problèmes plus ou moins cachés concernant le fonctionnement de nos sociétés.
La situation post confinement nous conduit à insister sur l’un d’entre eux : nous nous battons de plus en plus souvent contre des ennemis invisibles. Statistiquement, peu de français, surtout parmi les jeunes, ont côtoyé des cas graves.
La canicule ou la disparition des ours blancs dans l’Arctique, aussi médiatisés soient-ils, ne suffisent pas à rendre vraiment palpable l’importance des effets du changement climatique. Maîtriser le monde dans lequel nous vivons exige de plus en plus une capacité d’abstraction et de projection dans l’avenir alors que le quotidien et le court terme semblent dominer totalement l’activité humaine. C’est le paradoxe redoutable auquel nous devons faire face.
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